Discours d’ouverture du Congres Solikon 2015
par Josette Combes (MES – Mouvement pour l’Economie Solidaire, France)

Chers citoyens du monde,

josetteNous avons eu le plaisir et la lourde tâche d’organiser aux côtés et à l’initiative de nos amis allemands du Forum de l’Economie solidaire et grâce à la mise à disposition des locaux de l’Université Technique de Berlin ce Congrès et je voudrais remercier d’emblée, au nom du RIPESS Europe, tous ceux qui depuis de longs mois travaillent pour mettre sur pied la manifestation engagée depuis le 5 septembre et qui devrait se conclure le 13 septembre.

Vous remercier également pour l’énergie que vous déployez aujourd’hui mais aussi quotidiennement pour faire avancer une action collective urgente. Il s’agit en effet d’ organiser ensemble les alternatives susceptibles d’endiguer les catastrophes environnementales et humaines engendrées par l’avidité et la cupidité aveuglante d’une minorité. Les détenteurs des rênes de la puissance financière adossée à celle des médias et de l’industrie militaire, ont dépossédé les peuples de leur pouvoir de décision et d’intervention sur ce qui les concernent et au premier chef: leur capacité à vivre dignement.


Que nous soyons investis sur une ou plusieurs des thématiques que ce Congrès va explorer, nous partageons me semble-t-il une même conviction: il existe des alternatives à la gabegie actuelle des ressources, à la financiarisation délirante de l’économie, à la démesure qui caractérise les sociétés dites développées quand toute une partie de la planète souffre de privation. Privation de nourriture, d’eau, d’abri, de soins sanitaires, d’éducation et bien sûr de liberté. Liberté d’expression, de circulation, liberté de vivre, simplement, dans un pays pacifié où règnent la loi commune et les droits de l’homme. Sans oublier qu’à l’intérieur même de nos poches d’opulence des pans entiers de la vie économique et sociale s’effondrent propageant misère et désespoir et par contiguïté assombrissant l’avenir pour la majorité des citoyens.

C’est pour organiser les résistances à toutes les dérives d’un modèle économique et social absurde que l’Economie Solidaire et les alternatives fleurissent de plus en plus partout dans le monde. Pour une définition à minima, on dira qu’il s’agit de l’ensemble des initiatives citoyennes de création d’espaces économiques, culturels, sociaux basés sur la démocratie, la justice sociale et la vigilance écologique.

L’Economie solidaire est un mouvement politique au sens noble, c’est à dire qui se préoccupe du bien commun et de la bonne gestion de la vie collective. On y préconise l’égalité des personnes qui ont voix au chapitre sur tout ce qui les concerne et au premier chef la façon dont s’agencent la vie sociale et les relations entre les humains.

L’Economie solidaire est, bien entendu, une forme d’économie qui cherche à maintenir les grands équilibres entre l’intérêt privé et l’intérêt public, entre la prédation nécessaire à la survie des êtres vivants et la conservation des ressources, indispensable à leur renouvellement et à la préservation de la biosphère.

L’économie solidaire est une philosophie, un art de vivre qui, refuse d’assimiler la notion de richesse à la propriété et à l’argent, bannit le gaspillage et l’excès de consommation et considère que le malheur des uns ne peut pas faire le lit du bonheur des autres. Le notion de solidarité n’est pas un vœu pieux, elle est un constat lucide de l’interdépendance de tout ce qui est vivant sur la planète et le principe de solidarité est au fondement même du vivant.

Depuis 1997, date de sa fondation le Réseau Intercontinental de l’Economie Sociale et Solidaire a pour objectif de rendre visible ce mouvement de mise en œuvre d’un autre monde. Le RIPESS a cheminé avec d’autres mouvements altermondialistes et s’est notamment engagé dans le processus des Forums Sociaux Mondiaux, en particulier pour faire reconnaître l’Economie solidaire comme une des voies qui conduisent à un rééquilibrage entre les pays du Nord et du Sud, seule condition d’un avenir pacifié. Les rencontres organisées par le RIPESS ont lieu, à dessein, en alternance au Sud puis au Nord, puis à nouveau au Sud. Ainsi de Lima (1997) à Québec (2001), à Dakar (2005) à Luxembourg (2009) et Manila (2013), grâce au Réseau ceux qui se reconnaissent des orientations brossées à grands traits que je viens de présenter, se rencontrent, échangent et agrandissent la sphère d’influence de l’ESS dans leurs pays respectifs et ce, sur les cinq continents.

Le RIPESS Europe né en 2009 au Luxembourg et effectivement formalisé à Barcelone en 2011 comptait 28 membres lors de sa fondation dans 9 pays de l’Union et dont certains sont transversaux entre ces pays voire comportent des membres partout en Europe (Urgenci par exemple). Ces membres sont eux-mêmes des réseaux nationaux, régionaux ou thématiques de sorte que le RIPESS regroupe beaucoup des formes d’activité dont nous allons débattre pendant les jours qui viennent.

La question de la convergence des mouvements sociaux est un des axes de notre activité. Ainsi, au sein de l’Université d’été européenne d’Attac en 2014, un séminaire de trois ateliers a réuni plus de 20 organisations (de la transition, de la sobriété énergétique, de la finance alternative, de l’autonomie financière, etc.) Nous avons organisé au Forum social de Tunis des assemblées dédiées à la mise en synergie des organismes mobilisés sur la question de l’après 2015, quel développement notamment comment conjuguer les besoins de développement des pays les plus pauvres et l’obligation des pays riches de faire décroître leur emprise écologique. Un atelier sera d’ailleurs consacré à la poursuite des travaux samedi matin. Tout dernièrement nous avons participé à l’Expo dei Popoli à Milan, qui a rassemblé plusieurs centaines de personnes sur le thème de la souveraineté alimentaire et de la vigilance écologique avec un slogan clair «Feed the people not the profit» «Nourrir les hommes pas les profits».

Ce sont des enjeux colossaux et nous voyons bien que si la société civile ne s’en mêle pas les ploutocrates poursuivront leur conquête mortifère de la planète pour en soutirer tout ce qui pourra être marchandisé. Peu leur importe semble -t-il qu’on s’achemine vers une disparition massive des espèces, la pollution insensée des terres et des nappes phréatiques mais surtout le changement climatique dont on est incapable d’imaginer les conséquences si ce n’est quelles seront catastrophiques. Les deltas vont déborder, des îles vont être submergées, et des millions de réfugiés vont encore aggraver les déséquilibres que les guerres engendrent actuellement. Combien de Syriens avaient le projet de quitter leur magnifique pays avant que le conflit n’y déchaîne les bombes? Pourquoi partirait-on du Congo, une terre riche à tous points de vue si les richesses n’y étaient pillées avec l’assentiment des responsables locaux corrompus, si les femmes ne s’y faisaient violer ou séquestrer? Aurions nous un problème islamiste si les pays musulmans n’avaient une revanche à prendre sur la colonisation occidentale qui a scindé ces pays selon des décisions arbitraires et absurdes? Mais surtout aurions nous à endiguer des flux de population si nous avions veillé à ne pas fonder notre opulence sur l’accaparement des richesses, des terres et de la force de travail de pays soumis par les armes.

Il ne s’agit pas de battre notre coulpe et de s’enfouir sous la cendre de la repentance mais de reprendre l’ouvrage en détricotant tout ce qui est inadapté au projet d’une humanité fraternelle et en tissant les formes de liens qui peuvent soutenir ce projet. Or, partout dans le monde, l’intelligence se met au travail pour inventer les solutions propices au «bien-vivre». Toutes les bonnes idées doivent circuler et alimenter la réflexion des groupes de personnes, de producteurs, de consommateurs, de citoyens qui s’organisent collectivement pour mettre en pratique une autre façon d’être au monde. Se nourrir, s’abriter, s’éduquer sont des droits inaliénables et le rôle de la politique est de faire respecter ces droits.

Les ateliers et les forums vont permettre de débattre sur toutes ces questions. Pour ce qui est du RIPESS Europe, nous avons souhaité organiser notre Assemblée Générale au sein même de ce Congrès où nous aurons le plaisir d’accueillir de nouveaux membres, notamment nos amis grecs de Solidarity for all mais également du Royaume uni, de la Croatie et les jeunes Economistes sans frontière et tous ceux qui voudraient nous rejoindre. Nous animerons plusieurs temps de rencontre, je vous invite à vous reporter au programme. Par exemple un forum sur la convergence des mouvements, un atelier pour présenter notre travail sur le panorama de l’ESS en Europe, un long travail d’écriture d’une charte pour la souveraineté alimentaire dont URGENCI est un des animateurs ou encore deux tables rondes où nous avons souhaité inviter des représentants d’institutions. Le dialogue entre responsables politiques et acteurs de l’ESS est essentiel pour faire progresser le changement d’imaginaire qui doit peu à peu, mais le plus vite possible, s’opérer en chacun de nous pour évacuer cette période éminemment dangereuse de l’ébriété consommatrice, de la marchandisation et de la financiarisation du monde. Il est temps de clore l’épisode ultralibéral et de le remplacer par une ère de solidarité entre les humains.

Notre challenge c’est de décrédibiliser un vieux dogme inadapté à la réalité du monde actuel, celui de la vieille équipe d’économistes ultralibéraux de l’école de Chicago et leurs émules, d’une poignée d’oligarques gérant le monde au détriment de 99% des autres humains, au détriment des grands équilibres écologiques et de la capacité de renouvellement des ressources vitales. Plus nous serons nombreux à nous assigner cet objectif et à rassembler nos énergies et nos idées, plus nous aurons de forces pour faire bifurquer le destin de l’humanité vers un sort plus clément pour sa survie.

Je vous souhaite des échanges forts et chaleureux, bon congrès à tous. Je vous remercie.