[Jason Nardi, Solidarius / RIPESS Europe]

Un événement extraordinaire a eu lieu en Chine au cours de ces 15 dernières années, une sorte de nouvelle révolution culturelle, qui n’a pas été menée par le gouvernement central mais bien par une nouvelle génération de jeunes (et moins jeunes) paysans et intellectuels. Des fermes collaboratives et coopératives à petite échelle sur le modèle de l’Agriculture soutenue par la Communauté (CSA en anglais, que nous appellerons ici Partenariats Locaux Solidaires – PLS), des formes hybrides de jardins potagers collectifs pour les “fermiers du dimanche”, des Marchés Fermiers en zone urbaine constituent la base de ce mouvement qui se répand à toute vitesse et semble vraiment très prometteur.

Vers la mi-novembre 2015 s’est déroulée la 7ème Conférence Chinoise de PLS nationale en même temps que le 6ème Symposium International d’Urgenci, dans le district de Shunyi, à la périphérie de Beijing, district proposé comme région de “Slow living”en Chine. Sous l’en-tête d’une ‘Revitalisation rurale”, l”accent a été mis sur comment reconnecter les habitants des villes et de la campagne, les circuits courts, et le potentiel du “commerce équitable” et des “Partenariats Locaux Solidaires” de mitiger à la fois les effets du réchauffement global et ceux de l’insécurité alimentaire.

La Revitalisation Rurale attire les habitants jeunes et hautement qualifiés vers un retour à la terre, apportant de nouvelles énergies et inspiration dans des zones rurales qui se sont retrouvées laissées pour compte ou en dépression économique. Les nouveaux agriculteurs sont inspirés par l’innovation écologique et sociale de ce mouvement qui combine la production d’aliments sains et biologiques avec une vraie alternative économique au modèle dominant du système agro-chimique industriel. Comme l’ont expliqué les organisateurs, “le système de PLS est un mouvement qui a pris de façon indépendante dans de nombreux pays de par le monde et montre comment les consommateurs et les agriculteurs à différents endroits de la planète trouvent des réponses aux mêmes pressions globales, les PLS offrent l’une des alternatives les plus prometteuses à la spirale descendante et constitue le seul modèle d’agriculture dans lequel les consommateurs acceptent de partager les risques et les bénéfices avec les agriculteurs. Ils proportionne des bénéfices et reconnectent les personnes à la terre où l’on cultive leurs aliments.”

Au cours des 5 dernières années, plus de 800 initiatives de PLS ont surgi dans la Chine entière, grâce au travail d’un réseau croissant de nouveaux jeunes agriculteurs. La Conférence Internationale a été organisée par le Dr. Shi Yan, l’une des fondatrices du mouvement des PLS en Chine et vice-présidente du réseau Urgenci, et son équipe des exploitations agricoles en PLS “Shared Harvest”, avec l’appui de l’Université Tsinghua et du gouvernement municipal du District de Shunyi. Quelques 66 invités étrangers de 28 pays étaient présents, ainsi que plus de 600 Chinois, la plupart très jeunes. URGENCI est le réseau international des mouvements de PLS (qui utilisent différentes appellations dans différentes régions), qui cherche à unir les agriculteurs et les consommateurs dont les actions au niveau local enrichissent la communauté globale et les écosystèmes. Le réseau introduit également les principes du modèle PLS dans les communautés où le concept n’est pas encore utilisé, et construit des alliances avec les collaborateurs de terrain avec lesquels ils partagent l’ambition d’atteindre la Souveraineté Alimentaire au niveau local, en préservant la biodiversité et en travaillant pour la justice alimentaire. Urgenci a tenu son Assemblée générale le dimanche 22 novembre, la participation était active et vibrante d’énergie, un réseau jeune en pleine croissance constitué de 36 pays y était représenté.

Tandis que dans la plupart des régions du monde, la tendance a été vers une hyper concentration de la production d’aliments en extensif – souvent obtenue par des pratiques d’accaparement des terres, ce qui oblige les petits producteurs à vendre leur terre à des mega multinationales, et par un processus parallèle en Chine, où le nombre d’agriculteurs a baissé et vieilli tandis que les villes attirent de plus en plus de monde et laissent les villages exsangues sous la pression des politiques gouvernementales centrées sur le développement urbain et la production agro-chimique de nourriture – est apparue simultanément une nouvelle génération de petits producteurs, qui mettent en commun leurs terres dans des structures coopératives, et développent les compétences techniques et sociales nécessaires avec l’aide de consommateurs conscients et apportent ainsi une nouvelle vie aux zones rurales touchées par la dépression économique. La Chine a rejoint ce mouvement mondial en contribuant à de nouveaux systèmes alimentaires, avec environ 350 000 familles de consommateurs responsables dans plus d’une douzaine de villes du pays.

Dans la périphérie de Beijing – une mégalopole avec une population de plus de 21 millions d’habitants – des villages entiers se spécialisent dans une forme d’agrotourisme qui relie producteurs et consommateurs aux touristes nationaux sous de nouvelles façons. Ils offrent non seulement la possibilité de cultiver et de récolter sa propre nourriture mais aussi d’amener ses enfants qui peuvent ainsi expérimenter de manière directe – par l’intermédiaire d’activités organisées – comment les aliments sont cultivés ainsi que s’initier au folklore local: il est possible aussi de manger à la ferme et de se loger chez l’habitant.

Avant la conférence des PLS, nous avons eu l’opportunité de visiter certaines de ces fermes, de parler aux gens et d’apprendre comment ils élaborent un forme hybride de communauté périurbaine rurale L’expérience la plus connue est la ferme du ‘Petit Ane”, créée en 2008 et à présent probablement la plus grande ferme PLS avec 60 employés et 500 foyers adhérents, dans le village de Ho-Shan-Jian. Des résidents de Beijing peuvent y réaliser de l’agriculture de week-end dans un esprit de cultiver-vous-mêmes-vos-légumes, avec l’aide du personnel de Petit Ane, articulant de nouvelles techniques en bio (par exemple les principes d’agriculture naturelle” du fermier sud coréen Han Kyu). Petit Ane donne accès à deux formes d’adhésion : la part travail (qui peut-être un espace potager individuel de 30m2 , cogéré par la ferme ou une parcelle de 60 m2 pour un groupe/plusieurs foyers – chacun reçoit des intrants matériels, des semences par exemple, des engrais biologiques, des outils et une assistance technique pour faire pousser ses propres légumes) et la “part régulière”, où chaque membre reçoit un panier hebdomadaire de produits de saison qu’il peut collecter à la ferme ou recevoir chez lui/elle.

La plupart des paiements sont réalisés en ligne et, comme nous l’avons appris dans la conférence, de nouvelles applications sont en cours de développement, comme par exemple ‘Real farms” qui connecte directement les producteurs en PLS et les consommateurs et permet de commander en ligne. Petit Ane possède un restaurant, un magasin (d’alimentation et d’autres produits) et est utilisé comme un centre de formation et de recherche, ainsi que comme un espace pour la communauté et des activités conviviales comme par exemple, le thanksgiving chinois.

D’autres fermes que nous avons visitées étaient très différentes: la coopérative Phoenix est un écovillage de 5 ha en biodynamie, elle possède un restaurant végétarien, des chambres, des salles de classe et une école, basée sur un mélange d’enseignements de Confucius et de Rudolf Steiner. La ferme de la Prospérité Verte est une coopérative financée par le gouvernement qui compte 335 membres qui utilisent de nouvelles technologies (comme, par exemple, de la poussière de fibre “bio”) pour cultiver en serres, une expérience qui devrait être plus productive et plus rentable (mais encore au stade expérimental). Et finalement, “Récolte partagée”, gérée par Shi Yan, le hub du mouvement social des PLS en Chine. L’exploitation emploie à présent 25 nouveaux agriculteurs, la plupart sortis de la faculté d’agriculture de l’Université de Renmin. Les activités de la ferme fournissent des aliments et des activités pour 500 familles, quatre groupes de parents d’écoles locales et des clubs et restaurants bio à Beijing. Sur la façade du bâtiment principal, on peut lire cette phrase: ‘Qui est votre fermier? D’où provient votre alimentation?”

La Conférence Internationale quant à elle a représenté un événement riche et très utile en termes de réseautage, alternant les plénières et des sessions plus théoriques avec des ateliers sur de nombreuses thématiques pratiques. Le programme a tourné autour des thèmes suivants: (Jour 1) Prendre soin de la planète, revitaliser les sols; (Jour 2) Prendre soin des personnes, revitaliser l’agriculture; une nouvelle génération de paysans; (Jour 3) Partager équitablement, revitaliser l’économie. Cette dernière partie, en particulier, a été développée autour des alliances d’Urgenci où l’Economie Solidaire et le RIPESS occupaient une place stratégique. “En tant que mouvements sociaux, affirme Urgenci, “ nous travaillons ensemble, et nous nous appuyons les uns les autres pour changer le système et construire des alternatives. Les deux piliers d’Urgenci sont la Souveraineté Alimentaire et l’Economie Solidaire. Ces deux éléments se rejoignent dans l’Agroécologie. Nos alliés principaux, Via Campesina et RIPESS sont les réseaux mondiaux principaux qui représentent ces deux piliers et notre travail commun de construction de systèmes alimentaires alternatifs, qui connecte les agriculteurs aux marchés et des politiques de soutien au niveau national et international”.

Les PLS sont aux coeur de l’Economie Solidaire. De fait, dans de nombreux pays, les réseaux d’économie solidaire sont principalement basés sur la relocalisation de la chaîne de l’offre alimentaire. Par l’intermédiaire de l’existence de marchés (fermiers) locaux étendus, de marchés sociaux, de districts de l’Economie Solidaire, qui relient les différentes formes de consommation, production et services échangés entre ceux et celles qui pensent que nous pouvons changer l’économie de manière à être utiles à nos communautés et au bien vivre de tous et toutes – au lieu du profit amassé par quelques-uns. Nous essayons aussi d’impliquer les autorités locales et des entreprises plus traditionnelles, car nous croyons à la fertilisation croisée et que l’intérêt de tous et toutes va vers une société plus résiliente et reproductive.

La question se pose donc: comment les mouvements des PLS et les réseaux d’Economie Solidaire peuvent-ils mieux travailler ensemble?

Comme l’a très bien expliqué l’un des intervenants chinois, ‘sans semence, il n’y a pas de biodiversité; sans biodiversité, il n’y a pas d’agroécologie; sans agroécologie, il n’y a pas de souveraineté alimentaire”.

Nous devons donc, dans un premier temps, rendre le lien très fort entre agroécologie et souveraineté alimentaire plus explicite et en faire un pilier fondamental pour construire l’Economie Solidaire. Nous devons aussi défendre et faire respecter ensemble les droits et les demandes des petits producteurs – en particulier face à des politiques publiques conçues pour l’agroindustrie et les grands propriétaires terriens, et construire sur l’alliance entre consommateurs organisés et producteurs organisés qui court-circuitent le marché conventionnel et recrée des chaînes doffre locales durables, qui renforcent la communauté locale et affaiblissent la dépendance vis-à-vis des pouvoirs économiques monopolistiques globaux.

Cette forme d’alliance donne lieu à des processus participatifs et démocratiques qui ont un lien direct avec les aspects fondamentaux de nos vies quotidiennes, en commençant par la production et la consommation de nourriture: les Systèmes de Garantie participative – SGP (que les Chinois ont très envie d’adopter) en représentent un bon exemple, ainsi que les Conseils Législatifs sur l’alimentation (Food Policy Councils) ou d’autres alternatives similaires à un niveau plus institutionnel. Ils nous permettent d’impliquer un nombre croissant de citoyens et citoyennes et de leur faire prendre conscience de ce qu’ils mangent, de qui produit les aliments et de quelle façon. De la même manière que sur la façade de la ferme de la Récolte Partagée :” Qui est votre fermier?

Des visites d’échanges et de formation, ainsi que de recherche et d’éducation représentent aussi deux aspects qui peuvent faire partie d’efforts communs entre les réseaux de PLS et d’économie solidaire. Nous pouvons aussi partager plus d’outils, comme par exemple la finance solidaire, la cartographie (les méthodes, les outils, l’échange d’information, les standards) et les processus collectifs comme le “Panorama de l’ESS”. Nous pouvons augmenter le plaidoyer auprès des institutions intergouvernementales : le Groupe de Travail des Nations Unies sur l’Economie Sociale et Solidaire (UN Task Force on Social Solidarity Economy), ainsi que les contributions au débat sur l’Agenda de Développement post-2015. Urgenci est impliqué depuis plusieurs années dans le Comité des Nations Unies sur la Sécurité Alimentaire, par l’intermédiaire du Mécanisme de la Société Civile. Comme le confirme Judith Hitchman, la présidente nouvellement élue d’Urgenci, qui représente Urgenci au RIPESS – et constitue une personne clé dans le travail auprès des Nations Unies –, bien que tous ces efforts de dialogue et de plaidoyer dans des institutions internationales intergouvernementales puissent sembler distantes et éloignées de nos vies quotidiennes, petit à petit il est possible de percevoir un glissement dans les positions et les mouvements sociaux sont en train de gagner du terrain et plus de consensus.

Les défis au niveau global ont aussi changé: avec la consolidation d’une crise systémique du modèle de civilisation hégémonique, de plus en plus d’esprits et de coeurs cherchent des alternatives qui puissent produire de nouveaux modèles et de nouvelles pratiques sociales et économiques. Et tandis que nous « construisons en faisant » un monde meilleur, nous avons aussi à lutter ensemble pour nous opposer aux politiques qui sont dangereuses et destructrices, comme par exemple les accords commerciaux qui donnent de plus en plus de pouvoir aux multinationales et aux grands pouvoirs financiers, l’accaparement des eaux et des terres (et la privatisation des Communs, au lieu de leur promotion et de leur protection), ainsi qu’en finir avec la dépendance envers les combustibles fossiles.

Avec l’expérience de la Chine – et les Chinois et le gouvernement sérieusement préoccupés par la sécurité alimentaire, la pollution et en train de devenir des consommateurs conscients – tout comme l’amplification des mouvements de PLS de revitalisation rurale, les perspectives sont plus réjouissantes. Il ne nous reste plus qu’à en parler autour de nous.