« Europe & ESS, l’heure est venue! » – Lille 12 Janvier 2018

Introduction par le Ripess Europe (de Patricia Coler et Jason Nardi)

RIPESS Europe – Solidarity Economy Europe est le réseau européen des organisations de l’Économie Sociale Solidaire (il fait partie du Réseau international RIPESS intercontinental), et regroupe plus de 40 réseaux nationaux, sectoriels et inter-sectoriels dans plus de 15 pays de l’EU. Il vise à partager des pratiques, inter coopérer et à s’engager dans des actions collaboratives qui puissent promouvoir et améliorer la visibilité de l’Économie Solidaire, mais aussi à contribuer à l’élaboration de cadres juridiques et de politiques publiques en faveur de cette économie.

Le mouvement de l’Economie Solidaire vise à transformer le système social et économique actuel en un système basé sur des circuits courts d’échanges coopératifs et solidaires qui relient les besoins individuels et ceux de la communauté. L’ESS se fonde sur des pratiques de production, échanges et usage des biens et des services qui permettent la satisfaction des besoins économiques et sociaux des communautés locales, territoriales et internationales. Elle œuvre pour la promotion de la démocratie économique, la justice sociale, la vigilance environnementale et ecologique, l’équité entre les genres et une approche plurielle et multiculturelle. L’économie solidaire est déjà présente dans des milliers d’initiatives citoyennes, de pratiques solidaires et de réseaux collaboratifs en Europe et dans le monde.

Pour le Ripess Europe, répondre aux défis des enjeux européens passe aujourd’hui par la reconnaissance d’une économie plurielle qui donne toute sa place à l’ESS, la participation des citoyens aux enjeux des communs et des régulations démocratiques, la coopération par et entre les territoires.

L’Union Européenne traverse un moment historique : aux prises avec des défis sociaux et politiques majeurs, ses pays membres doivent surmonter ces épreuves pour construire un avenir commun. Croissance des inégalités, lecture d’un risque de pauvreté et d’exclusion sociale qui touche un adulte sur 4 (http://www.eapn.eu),  extension et nouvelles formes de précarité dans le travail, difficulté d’accès à une qualité d’alimentation, de logement, de santé… et au de-là, aggravation des replis démocratiques.

Il est urgent de construire une ambition nouvelle et une politique de développement de l’Union Européenne pour 2020-2030, dans laquelle l’ESS a toute sa place. Des notions telles que le progrès économique, la dimension inclusive d’une société, ainsi que la justice sociale doivent être discutées dans l’agenda du développement européen, afin de caractériser et développer des mécanismes transversaux qui se fondent sur les Objectifs de développement durable des Nations Unies (SDG).

Car nos réflexions européennes sont à articuler avec ce qui se passe au niveau international. On le voit dans nos actions au niveau du Ripess International, dans de la structuration progressive d’acteurs de l’ESS et de leur prise en compte dans les objectifs de développement à travers un dialogue accru avec les collectivités (par exemple le Manifeste de Praia, le GSEF et au Mali suite à diverses interventions de Madani Koumaré, président à la fois du RENAPESS (réseau national du Mali) et du RAÉSS (le réseau africain membre du RIPESS), une association d’élus locaux s’est constitué autour de la notion de l’ESS.

On le voit dans nos réseaux: l’ESS, compris comme mouvement citoyen dans toute sa diversité, témoigne d’une multitude de dynamiques d’utilité sociale, qui tentent de construire une économie fondée sur les droits humains, l’émancipation, et la logique collective. Dans ce cadre, il doit pouvoir s’établir de nouvelles relations avec les collectivités pour une participation affirmée des citoyens à l’action commune, pour reconnaitre leur contribution à l’action publique. Ces relations doivent s’inscrire dans un cadre partagé et démocratique. Il ne s’agit ni de construire de nouveaux lobbys défendant des intérêts particuliers, ni de devenir des délégataires et prestataires de la puissance publique. Avec plus d’exigence, il s’agit de comprendre que les initiatives de l’ESS participent plus largement à la définition des enjeux, diagnostics, solutions pratiques et régulations nécessaires pour une transformation sociale de nos sociétés.

C’est donc une innovation sociale basée sur une solidarité démocratique forte que nous appelons de nos vœux, qui soit empreinte d’alliance entre les initiatives solidaires et les collectivités publiques pour définir du commun et de l’intérêt général à partir d’autres bases que celle de lucrativité et de la concurrence des intérêts particuliers. Ces autres bases pourraient être l’attention à l’autre, à notre environnement et au futur (transition écologique et culturelle), la redéfinition des manières de conduire (au sens de définir, faire, évaluer) les actions d’intérêt général, l’accompagnement nécessaire entre acteurs pour faire valoir des projets de territoire, les coconstruire, les soutenir.

A l’orée de vos travaux de cet après-midi en ateliers, nous vous proposons quelques observations et points d’attention d’un réseau d’acteur.

Notre espace commun de travail et d’observation des pratiques nous amène à penser qu’il est fondamental d’avoir une approche transversale de l’ESS et reconnaissant la diversité du mouvement des initiatives.

Que dans ce cadre, il est essentiel que les structurations d’acteur puissent travailler avec les organisations collectives des collectives qui progressent également. Nous avons besoin de nous former ensemble, de nous construire ensemble des apprentissages sur les lois de l’ESS, sur les politiques locales, sur les conditions de mise en œuvre des pratiques etc.

Cela doit se faire à un niveau européen et international mais aussi au niveau très local pour que les acteurs de l’ESS puissent participer à penser les territoires et ses transitions.

Dans le cadre de l’agenda européen, il est essentiel de pouvoir justement développer et engager les fonds structurels européens en soutien de ces transitions. Ils sont déterminants. Mais s’ils peuvent accompagner des projets de territoire et de coopération, ils doivent prendre en compte de l’étape dans laquelle nous sommes aujourd’hui : celle d’une multitude de petites voire très petites structures qui agissent pour ces formes économiques et comme geste démocratique. C’est aujourd’hui cette diversité qui participe à créer une nouvelle Europe. Attention donc à la finesse nécessaire des dispositifs qui doivent soutenir avant tout cette multitude ancrée localement.

De même, c’est très bien de penser la coopération, mais on le sait tous ! cela nécessite d’être animé et donc d’avoir les moyens de soutenir ces coopérations qui ne passera que par une alliance avec des interventions publiques de fonctionnement sous forme de subvention. Si c’est vraiment d’intérêt général !

Car aujourd’hui c’est le modèle du non lucratif et de la coopération qui est discriminé plutôt que le modèle de la lucrativité, de la financiarisation et de la concurrence, dont on connait pourtant les effets catastrophiques. Il est donc fondamental de ne pas céder à l’isomorphisme, d’inventer de nouvelles solutions, qui ne soient pas que celles du marché, et de faire bouger les lignes, enfin.

Pour ce faire, nous sommes convaincus qu’il est nécessaire de promouvoir aussi au niveau européen de véritables processus de coconstruction des politiques publiques. Le GECES, dont Patricia Andriot et Denis Stokkink, nous ont rappelé ce matin le dernier rapport et ses préconisations est un espace intéressant et nous espérons que son prochain renouvellement verra notre candidature de regroupement de plus de 30 réseaux de l’ESS en Europe acceptée mais il ne peut circonscrire le processus de coconstruction qui doit s’établir dans la durée, de façon transversale et en prenant en compte une diversité d’acteurs. Cette coconstruction ne peut que se fonder sur des concertations locales et des cultures de travail partagé initiées au niveau territorial d’où l’importance d’une journée comme aujourd’hui.

Bons travaux.