Depuis 2002, Jean-Louis Laville (CNAM et conseil consultatif de RIPESS EU) co-dirige un travail régulier sur le « dictionnaire de l’autre économie », en Amérique du Sud et en Europe et tout dernièrement un ouvrage intiulé « Les gauches du XXIème siècle ».

Pourquoi le néolibéralisme a-t-il pu s’imposer aussi facilement ?
Laville formule l’hypothèse suivante: si le néolibéralisme a pu s’imposer avec autant de force, c’est parce que les matrices de changement de la gauche sont à bout de souffle qu’il y a un épuisement de la pensée de gauche.

Est-ce que l’ESS peut jouer un rôle dans une autre façon de penser les ripostes ? L’importance du déterminisme économique rend difficile de réfléchir aux médiations économiques et politiques. En premier exemple, le bolchevisme et son volontarisme politique et étatique s’est fait au détriment de la démocratie. Devenu illégitime, n’ont subsisté que des projets qui avaient tenté de dépasser le capitalisme c’est la social-démocratie. Elle a permis de créer des sociétés plus égalitaires, elle a apporté des améliorations mais qui restaient dans la dépendance à la croissance marchande. La sociale démocratie ne peut agir que s’il y a une croissance marchande forte.

Avec des taux de croissance structurellement plus faibles, la social-démocratie n’a plus la capacité régulatrice, d’où l’obsession de favoriser la croissance, donc le capitalisme. En envisageant le changement par l’économie sociale, elle est aussi restée dans le déterminisme économique avec deux façons de penser le changement qui montrent chacune leur limite. Celle de la sociale démocratie plutôt au Nord et démocratie sociale plutôt au Sud. Pour renouveler l’approche il faut faire une relecture historique de l’ESS, notamment des tentatives utopistes puis et du socialisme scientifique. Or, il y a eu invisibilisation de l’histoire, il faut questionner le récit officiel, le détour historique permettrait de comprendre les difficultés.

Le deuxième détour doit se faire par les épistémologies du Sud dans une perspective de sortir de l’eurocentrisme. Là aussi il y a eu non seulement domination et aussi invisibilisation d’une partie de l’économie réelle. La manière de présenter l’économie de marché est en fait loin de la réalité mais généralisée. Il y a aussi mise en accusation des expériences d’économie alternatives car elles ne seraient pas capables de changer le système, alors qu’il faudrait mettre en valeur les potentialités des émergences. Il est de plus indispensable de réfléchir à d’autres manières de coopérer entre acteurs et chercheurs.

Soulignons quelques points clé pour voir comment l’ESS peut ou non avoir des effets sur le cadre institutionnel.

Deux étapes sont à considérer dans l’ESS : le renouveau des pratiques dans les dernières décennies du XXème siècle et les tentatives d’institutionnalisation du début du XXIème siècle. Ce mouvement intéressant d’institutionnalisation est à la fois reconnaissance et instrumentalisation:

1er scénario: l’instrumentalisation dans le cadre d’une nouvelle politique sociale,(par exemple en Argentine) avec le risque de considérer l’ESS comme l’économie pour les pauvres (ex le Brésil). L’économie de marché reste la norme.

2ème scénario: En France et en Espagne l’ESS est un secteur économique des petites et moyennes entreprises. Aux rencontres nationales de l’ESS on parle de croissance des entreprises, de performance, de professionnalisation et de management, elles fonctionnement comme autres entreprises sans questionner la transition sociale et écologique.

3ème scénario: en Asie et Amérique du Nord, avant l’Europe, on prône la moralisation du capitalisme, le « Social business ». Il s’agit d’admettre un nouveau capitalisme à but social, il avance de manière très forte, car le néo-libéralisme a modifié son discours, avec la capacité de réduire la pauvreté, en s’attaquant à la pauvreté mais pas aux causes des inégalités avec la « venture philanthropie ». Ce scénario a des méthodes souvent réalistes.

4ème scénario: de transformation. Quelles conditions pour son progrès? Des conditions internes mais surtout un scénario d’économie et de démocratie plurielles. Il faut refuser la vision évolutionniste de l’économie, (Jevons, Walras et Menger) selon laquelle les sociétés antérieures seraient archaïques et rechercher la Pluralité de principes économiques, l’hybridation. Il y a donc une possibilité très exigeante que l’ESS travaille dans le sens d’une transition et pour cela qu’arrivent à se créer de nouvelles combinaisons entre acteurs de l’ESS et ceux des politiques publiques et surtout ne pas désolidariser le cadre institutionnel et les initiatives citoyennes.