Diego Moratti (Réseau Italien de l’économie solidaire) : le verrouillage a imposé de repenser les habitudes. Nombreux sont ceux et celles qui s’approchent du monde de la consommation critique. Une opportunité à exploiter
Par Corrado Fontana

Avec une pandémie de coronavirus toujours en cours, nous essayons de recueillir les signes d’une issue positive. Et le monde de l’économie solidaire, celui des gruppi d’acquisto (GAS) et des circuits courts, des relations entre consommateurs critiques et petits producteurs, de l’alimentation saine et du juste prix, dévoile une agréable vérité : il a jusqu’ici bien répondu aux difficultés. Et ce n’est pas tout. L’économie solidaire a renforcé la certitude que certaines bonnes pratiques bien établies peuvent remporter la victoire sur le modèle de l’agriculture intensive. De plus, grâce aux restrictions de verrouillage, le nombre de consommateurs intéressés par des modes d’achat « alternatifs » augmente.
« De nombreuses habitudes quotidiennes ont été obligatoirement modifiées à cause du virus, avec le potentiel qui en découle d’enraciner – ou de repartir de zéro – l’affirmation de pratiques plus durables » confirme Diego Moratti, membre du conseil national du nouveau Réseau italien d’économie solidaire (sa naissance en tant que RIES a été officialisée juste avant le déclenchement de l’épidémie). « De telles pratiques, si elles sont intégrées et additionnées, peuvent affecter et provoquer un changement social et économique efficace ».

Cette crise pourrait-elle donc devenir un tournant décisif ?

C’est exactement ce qui est apparu au moment de la création du nouveau RIES, le mercredi 22 mars 2020. Nous avons interrogé plus de 70 représentants de toute l’Italie : il y a eu une forte convergence sur la valeur de l’opportunité historique à laquelle nous sommes confrontés.

Quelle contribution les réalités de l’économie solidaire peuvent-elles concrètement apporter pour relancer le secteur agricole après la crise du coronavirus ?
« Nous avons activé les relations avec d’autres réseaux de producteurs et avec les acteurs impliqués dans la défense de l’agriculture paysanne dans le sens de l’agroécologie : le premier objectif était de proposer aux députés les plus sensibles la reconnaissance éventuelle de nos systèmes de production et de distribution d’aliments de qualité dans des décrets gouvernementaux émis progressivement. Le second objectif est maintenant de rechercher des lignes d’intervention unifiées pour le post-virus dans une période de crise économique de moyenne-longue durée, la plus grave de ces 100 dernières années (c’est-à-dire depuis ’29) ».

Quel rôle l’économie solidaire joue-t-elle dans la production durable de denrées alimentaires, dans la transition vers l’agriculture biologique, dans les processus d’inclusion sociale ?

« Les réalités de l’économie solidaire visent principalement un marché « intérieur » et une demande « consciente », qui connaît les producteurs et les choisit pour une série de raisons (pas tant pour une prétendue commodité ou un confort de supermarché). Pour ces raisons (durabilité environnementale, inclusion sociale, formes coopératives), le consommateur décide d’être « solidaire » avec le producteur.

Ce concept central, même en temps de crise économique, peut permettre de « maintenir » le soutien à la partie de l’agriculture durable – biologique, inclusion sociale – qui s’appuie sur nos GAS, les marchés des petits producteurs et des pratiques similaires. À condition que ces activités soient autorisées en termes juridiques et de sécurité dans les différents décrets d’urgence ».

L’économie civile est flexible et résistante. Dans cette crise, les RIES et les GAS ont-ils confirmé des caractéristiques similaires ?

« Une réunion à distance organisée par le RIES fin mars avec une centaine de participants, pour la plupart des « experts de GAS », a révélé des réponses « créatives » des chaînes locales de production et de distribution d’aliments authentiques par rapport aux réglementations contenues dans les décrets gouvernementaux. Ces derniers ont imposé des contraintes à nos systèmes de relations, au profit de la grande distribution. Nous avons tiré le meilleur parti de ces expériences, en fournissant aux personnes en difficulté une série de matériels pour faciliter la reconnaissance, même formelle, par les maires et les préfets des activités des GAS ou des petit.es producteurs.trices qui ont proposé de faire des livraisons à domicile.
Après un premier revers, de nombreuses centrales d’achat se sont remises sur les rails en réinventant les moyens de s’approvisionner en produits, de les stocker et de les livrer aux familles. Par exemple, des GAS dans des copropriétés ont été proposés et de nouveaux espaces de tri des marchandises ont été aménagés pour maintenir la distance sociale.

D’autres réalités ont développé des plateformes de commandes en ligne ou par téléphone ou ont rejoint les circuits d’aide sociale des différentes municipalités, d’information et de livraison de la protection civile locale ou des groupes de volontaires nés pour l’urgence. En d’autres termes, la résilience et la flexibilité sont des qualités typiques de ces circuits d’approvisionnement alternatifs ».

Parviendrez-vous également à faire repenser le modèle agricole actuel dans un sens plus durable ?

« Tous les acteurs et actrices du Réseau italien de l’économie solidaire – les GAS, les organisations de commerce équitable et de finance éthique – sont conscient.es que les changements considérables dans les habitudes des gens, même s’ils sont forcés, donnent une occasion exceptionnelle de réfléchir à la mesure dans laquelle notre consommation, y compris alimentaire, a un impact sur l’agriculture, l’environnement et l’économie en général.

Nous sommes certains que le modèle de l’économie solidaire répond à de nombreux problèmes critiques que le système de l’agro-industrialisme et la dépersonnalisation des relations économiques ont poussés à l’extrême. Je pense en particulier à la durabilité environnementale et à la pollution. La crise provoquée par la pandémie peut donc être utilisée pour diffuser nos bonnes pratiques. À condition qu’ils puissent être saisis et reconnus par les citoyen.nes et les institutions comme un modèle meilleur et préférable, alternatif et concrètement activé ».

Article de Valori.it, (en italien) 25/4/2020